Pierre Durand, fidèle de photofloue.net et de Réponses Photo (et sans rapport de cousinade avec moi !) a voyagé cet été à Madagascar, et a eu l’occasion de rencontrer le photographe Pierrot Men. Il nous fait l’amitié de partager ses impressions et son échange avec ce grand photographe humaniste.


[Pierrot Men dans son atelier | photo Pierre Durand]

Si l’on s’intéresse à la photographie et à Madagascar, il est sûr qu’à un moment ou un autre, on croisera les images de Pierrot Men (pour les collectionneurs, voir RP mai 2004). Quand je me suis avisé que mon voyage malgache passait par Fionarantsoa, la ville où le photographe est installé, je me suis organisé pour visiter son magasin. Le hasard à bien voulu que le photographe soit chez lui quand j’ai poussé sa porte et c’est avec un homme courtois et disponible que j’ai pu converser quelques minutes dans son atelier d’artiste.

Sur les murs, sur les tables sont disposés différents tirages qui permettent d’avoir un aperçu de son travail (voir sur son site www.pierrotmen.com). Nous avons évoqué nos pratiques photographiques, évidemment brièvement en ce qui me concerne, mais ma pratique de la photo argentique nous a permis d’évoquer son parcours de photographe.

Pierrot Men souhaitait devenir peintre. Il prenait des photos pour reproduire ses tableaux jusqu’au jour où il comprit qu’il s’exprimait mieux par ses photos que par ses peintures. Mais vivre de la photographie à Madagascar est difficile. Il ouvre un magasin à Fionarantsoa, et comme tout photographe, il vit de photos d’identité, de mariages, de matchs de foot… tout en gardant toujours un appareil photo dans sa voiture pour développer un travail personnel.

Sa formation de peintre a-elle formé l’œil de Pierrot Men comme ce fut le cas par exemple pour Henri Cartier-Bresson et Willy Ronis ? Toujours est-il que, plaçant l’humain au centre de son travail, il cultive du premier cité, le sens de l’instant décisif et du second, le regard humaniste sur ses contemporains. Deux maîtres de la photographie mais aussi deux références : « Je ne suis pas un voyageur, je trouve les scènes qui m’intéressent autour de moi. Je cherche à saisir des instants de vie. Pour capter ces moments, quand qu’ils viennent à vous, il faut être disponible. Mais il ne faut pas trop réfléchir, rester spontané, sans trop chercher à réfléchir. C’est rare de réussir. Quand on fait dix bonnes photos dans une année, on peut-être satisfait ! ».

Il trouve ses sujets sur place dans la région de Finarantsoa (voir par exemple la série Soatonana) ou un peu plus loin dans « la grande île ». Son but est toujours de fixer des instants de vie qui pourraient paraître banals.

Pierrot Men montre une autre facette de son talent réalisant un véritable travail de mémoire en photographiant des survivants de l’insurrection de 1947, rébellion contre la présence française qui fut réprimée dans le sang par l’armée coloniale (portraits d’insurgés, Madagascar 1947). Un hommage aux hommes emblématiques du combat pour l’indépendance de Madagascar.


[photo Pierrot Men РInsurg̩s]

Dans sa boutique de Fionarantsoa, on peut acquérir des cartes postales, des tirages ou l’un de ses ouvrages. « Car vivre de ses photos n’est de toute façon pas évident. Il faut aussi proposer des images qui intéressent les clients. D’ailleurs, c’est plutôt ma femme qui choisit les photos pour les cartes postales qui sont vendues au magasin, car elle sait mieux que moi ce qui plaît. Par exemple, cette photo est peut-être ma meilleure photo, mais je ne la vend jamais : qui voudra envoyer une carte postale d’une photo prise dans une décharge ? »


[photo Pierrot Men – Cette image est une belle illustration de la recherche de l’instant décisif par Pierrot Men. Il est dommage que sa reproduction sur le web ne permette pas de mesurer le rendu de la lumière que j’ai pu apprécier sur un tirage original.]

Un ordinateur et un traceur font partie de l’équipement de l’atelier. Je pose à Pierrot Men la question de la part du numérique dans son activité.

«J’utilise maintenant le numérique, pour la prise de vue comme pour les tirages. Je scanne aussi d’anciens négatifs. Les traceurs modernes permettent d’obtenir des impressions de qualité qui tiennent le coup à côté d’une épreuve sur papier baryté. Ils me permettent d’obtenir des reproductions identiques pour mes tirages numérotés. Mais je reste fidèle aussi à l’argentique, j’ai toujours un Leica dans la voiture. Comment laisser ces appareils dormir dans un tiroir ? D’ailleurs  ma pratique de l’argentique a été pour moi fondatrice. J’ai passé des milliers d’heures dans mon labo où j’ai beaucoup appris. Je rencontre  parfois des jeunes qui ont commencé par la photo numérique sans avoir jamais pratiqué le labo et qui me montrent leurs photos. Très souvent leurs images sont estampillées photoshop avec des traitements trop voyants. »

Mais qu’importe la technologie Pierrot Men, place l’humain au centre de sa photographie et nous offrent des instants de vie souvent émouvants. On aura la chance de découvrir ses images en ce moment et jusqu’au 23 septembre 2012 au festival de la photo humaniste de Sarcelle.

Pierre Durand