Il est des anniversaires que l’on peut rater, simplement parce qu’ils ne correspondent pas à un jour précis, mais plutôt à une période dont les limites sont un peu floues. Je vous invite néanmoins à célébrer un centenaire, et pas des moindres, celui de la photographie en tant qu’art à part entière. 1920, naissance d’une décennie qu’on va nommer de manière imagée “les années folles” en France ou les “roaring twenties” (années rugissantes) outre-Atlantique. Cette bulle colorée par le jazz et le surréalisme se fracassera contre le mur de la crise de 29 suivie par la guerre.

Jusqu’alors très marquée par une esthétique héritée de la peinture ou de la gravure, le pictorialisme, les photographes adoptent un langage épuré, rendant sur leurs images toute l’objectivité permise par cet art mécanique. Du “no filter” avant l’heure. Le chemin se fait progressivement, marqué aux Etats-Unis par la revue d’Alfred Stieglitz Camera Work et sa galerie 291. Après avoir donné à la photographie ses lettres de noblesse, Camera Work cesse de paraître en 1917, comme si sa mission était accomplie. Son dernier numéro publie le jeune Paul Strand, qui affirme que “la puissance de chaque medium réside dans la pureté de son utilisation” et que le photographe doit un respect total aux choses qui sont devant ses yeux, respect qui se caractérise par l’usage de méthodes photographiques “straight” — qui a le sens de direct, honnête, pur.

La puissance de chaque medium réside dans la pureté de son utilisation

Paul Strand, 1917
Photograph – New York [The White Fence]; Paul Strand (American, 1890 – 1976); negative 1916; print 1917; Photogravure; 17 × 21.8 cm

Emancipée de la peinture, la photographie prend un nouveau départ dans les années 20. La photographie pure est adoptée aux USA par Edward Weston, auquel Stieglitz conseille de rechercher “un maximum de détails avec un maximum de simplification”, Ansel Adams qui publie sa première photo en 1920, Walker Evans, Minor White, Dorothea Lange et bien d’autres. En France, Emmanuel Sougez, Florence Henri, Brassaï, Laure Albin-Guillot, André Kertész, adoptent un point de vue comparable. Parallèlement, Man Ray expérimente les photogrammes et s’inscrit dans le surréalisme, Maurice Tabard et Raoul Ubac jouent avec les doubles expositions et les collages. A l’est, autour du Bauhaus on cherche une “nouvelle objectivité” avec Moholy-Nagy ou Karl Blossfeldt, pendant qu’à Berlin les dadaïstes déconstruisent à grand renfort de collages et de typographies. 

Photograph – New York [Abstraction, Porch Shadows]; Paul Strand (American, 1890 – 1976); negative 1916; print 1917; Photogravure; 24.2 × 16.7 cm

Les progrès techniques accompagnent cette renaissance. En 1925 Leica adapte la pellicule 35 mm, inventée pour le cinéma, à la photographie. La versatilité de l’appareil bouscule les perspectives et les points de vue, Henri Cartier Bresson, Alexander Rotchenko, François Kollar, s’en emparent. La presse, la publicité, la mode embrassent le nouveau mode d’expression photographique. La décennie se termine à Stuttgart en 1929 avec l’exposition internationale Film und Foto qui réunit les photographes partageant cette “nouvelle vision”.

Certains notent que l’explosion créative des années 20 est survenue après deux décennies difficiles marquées par la première guerre mondiale et l’épidémie de grippe espagnole. Je dis ça, je dis rien. 

Wall Street, Paul Strand (American, 1890 – 1976); negative 1915;