A propos de l’exposition Les Parisiens sous l’Occupation. Photographies en couleurs d’André Zucca. par Françoise Denoyelle

Depuis environ un mois, une exposition à Paris crée la polémique. Intitulée
initialement « les parisiens sous l’occupation« , elle présentait des photos
couleurs d’André Zucca sans faire mention du fait qu’elles avaient été
commandées par le Signal, magazine pro-allemand. Les images montrent des
parisiens et parisiennes insouciants, joyeux et élégants, profitant du
soleil sur les terrasses de cafés et les jardins publics. Rien sur le sort
des juifs, encore moins sur la résistance. La réaction de bon nombre de
médias a permis à la Ville de Paris d’en prendre conscience, de rebaptiser
l’exposition et d’afficher à l’entrée un texte d’avertissement. Françoise
Denoyelle
, historienne de la photo et professeur à Louis Lumière, a été une
des premières à réagir. Elle a entre autres écrit un ouvrage sur « la
photographie d’actualité sous le régime de Vichy
 » aux éditions du CNRS. Elle
revient ici sur cette polémique.

En mars 2008, entre les deux tours des élections municipales, s’ouvrait à la Bibliothèque historique de la ville de Paris l’exposition Les Parisiens sous l’Occupation. Photographies en couleurs d’André Zucca. Un catalogue est coédité par Gallimard/Paris bibliothèques. Préfacé par Jean-Pierre Azéma, il est ponctué « d’un très discret commentaire historique en forme de souvenirs » du commissaire de l’exposition Jean Baronnet, un cinéaste qui n’est ni un spécialiste de la photo ni un historien de la période de l’Occupation, mais dont Jean Dérens (Conservateur général à la BHVP) déclare qu’« il a un œil ». L’ouvrage présente un choix des 270 clichés de l’exposition accompagné d’une courte biographie d’André Zucca, pour le moins bienveillante, par sa fille Nicole.

Des photographies en couleurs d’un Paris ensoleillé avec ses amoureux dans les parcs, ses baigneuses en pleine cure de bronzage sur les bords de Seine et ses terrasses de cafés bondées devant lesquelles passent les élégantes Parisiennes quand elles n’arborent pas leur dernier chapeau à Longchamp. Dans le Marais, Zucca ne rencontre que deux étoiles jaunes et la seule file d’attente de la capitale se concentre devant un bougnat du boulevard de Clichy. Les photographies sont accompagnées d’un appareil critique réduit au minimum, la plupart du temps topographique, quand il ne fleurte pas avec la provocation. « Où se trouve le propriétaire de ce coffre-fort ? » interroge le cartel d’une photographie de déménageurs s’activant devant une porte cochère d’un immeuble arborant une plaque gravée au nom de « Nahoun ».

La polémique

Dès le 30 mars, Yasmine Youssi, en quatrième de couverture du Journal du Dimanche, déclare les hostilités en titrant « Paris dans l’objectif des Nazis» et invite Marc Ferro à « décrypter des photos polémiques de l’Occupation ». Il sera plus incisif sur France Inter dans le Journal du matin en déclarant « Il aurait fallu qu’un historien s’occupe de cela ». Dès lors, les plumes s’affûtent, les blogs s’insurgent. Pierre Assouline monte au créneau dans son blog du 7 avril publié sur le site du Monde. L’Express (17 avril) en fait sa une sous le titre « Les derniers secrets de l’Occupation » et donne la parole à Jean-Pierre Azéma qui ne dit mot sur l’exposition. Quant à François Dufay, dans une brève introduction, il n’hésite pas à écrire : « Il (Zucca) fut un peu le Doisneau des années sombres, le Cartier-Bresson de l’Occupation ». Un cousinage bien malvenu que je dénoncerai dans une interview au Monde. Le Monde qui ne consacre pas moins de 2 articles : Philippe Dagen 12 avril, Michel Guerrin le 25 et un éditorial le 27/28 « La photo, la propagande et l’ histoire ». Le 18 avril, Arrêt sur images consacre une émission d’une demi-heure au seul sujet et présente un grand nombre d’images.

Le 20, Christophe Girard, l’adjoint au maire chargé des affaires culturelles prend acte et invite au retrait : « Qu’on arrête cette exposition » demande-il dans le JDD où il annonce par ailleurs le retrait des affiches de l’exposition. Ce qui sera immédiatement fait, mais parfaitement inutile. Le battage médiatique transforme les abords de l’exposition en meeting permanent. Non sans ironie, la queue s’allonge devant le guichet et les auteurs auront droit à deux réimpressions du catalogue dont les piles fondent comme neige au soleil. Le 21, dans Libération, Christophe Girard reconnaît : « Il y a eu un défaut en amont et plus jamais la Mairie ne laissera faire une exposition de ce type… sans l’apport fondamental d’un comité d’experts ». Ce même jour, un papier de Françoise Dargent dans Le Figaro : « L’exposition qui embarrasse la Mairie de Paris » annonce la mise en place d’un panneau en guise d’avertissement à la demande de la Mairie. Une feuille, non signée, est également distribuée à chaque visiteur. Le magazine Signal n’est plus présenté, comme le jour du vernissage, sous forme d’un simple magazine de la collaboration, mais comme « l’organe allemand de propagande nazie vantant la puissance de la Wehrmacht et de la Waffen SS ». Pour le reste du texte, mieux vaut avoir l’œil pour déceler les images de propagande. Car les photographies sont toujours dédouanées de toute forme de collaboration « Individualiste forcené, Zucca joua de la couleur en esthète et photographia sans désemparer le Paris allemand, les devantures et les affiches …tous sujets qui échappaient à la censure». Comment s’étonner ensuite qu’on le compare à Doisneau ? Le 22 avril, Métro titre « Une expo sous surveillance » et annonce que Bertrand Delanoë « a renoncé à la fermer » . Fin du premier chapitre.

Dans « Comment a échoué une exposition critique de photos de Paris occupé » Michel Guerrin procède à un premier récapitulatif des rebondissements et révèle « qu’une exposition d’une toute autre ambition conçue au début des années 2000 au sein même de la BHVP, fruit d’un long travail sur les archives et qui visait à montrer toutes les facettes du personnage, a été préparée avant d’être abandonnée ». Liza Daum, à l’époque responsable de la photographie et en charge de l’inventaire des 22000 négatifs dont 6000 sur la période de l’Occupation (1058 en couleur) et Evelyne Desbois, chercheuse au CNRS ont dû renoncer.

Photo André Zucca

Ce qui pose problème

La revue de presse apporte chaque jour son lot d’informations et de commentaires. Magalie Joffré dans l’Humanité, Bernard Lefort dans Libération, Bernard Géniès (bien documenté) dans Le Nouvel Observateur, Paul Amar dans Revu et corrigé sur la 5…, ajoutent leur pierre. Pour ceux qui auraient échappé à l’information, résumons.

L’introduction dans le catalogue présente les photos d’un « promeneur-conteur ». Le dispositif : scénographie, panneaux et cartels, invite à ne retrouver que cette « déambulation créative » alors qu’une part importante des clichés participe de la propagande nazie :

  • les panneaux publicitaires pour l’exposition Le bolchevisme contre l’Europe ; Signal négligemment posé comme objet du décor quotidien.
  • les affiches de cinéma allemand (cinéma Normandie, Le Président Kruger ; cinéma Cameo, Faux coupables ; La ville dorée, Boulevard de Clichy) …
  • les affiches de propagande, contre les bombardements alliés (celui de Rouen par les Anglais), contre le bolchévisme, pour encourager le travail en Allemagne (publicité incitant à travailler en Allemagne , office de placement pour l’Allemagne)…
  • les défilés de l’armée allemande (relève de la garde sur les Champs-Élysées)…

L’accumulation de photos vidées de toute présence allemande nous renvoie étrangement aux rues vides des deux documentaires de propagande produits par La Continental, maison de production allemande. D’une manière générale, l’atmosphère qui ressort, le Paris des jolies femmes, nous rappelle les photos de Walter Dreizner, soldat allemand en garnison à Paris durant cette époque.

Alors que la pénurie de produits sensibles est permanente, Zucca dispose à volonté de pellicules couleurs pour ses seuls travaux personnels. Il reçoit un salaire mensuel 8 fois supérieur à ce que pouvait espérer André Kertész lorsqu’il quitta Paris en 1936 et cela pour seulement 30 reportages entre novembre 1941 et août 1944 (Signal a été le plus souvent un bimensuel). Il est en mesure d’employer une secrétaire documentaliste, fonction occupée généralement par la femme du reporter. Comment croire que Zucca ne travaille pas, comme toutes les agences parisiennes, non seulement pour la presse, mais pour la propagande allemande ? Aussi ne peut-on que s’étonner du jugement toujours présent sur le site paris.fr/portail/Culture « (Zucca) devint germanophile sans être pour autant un collaborationniste engagé ». Enfin une belle photo n’est pas pour autant une bonne photo. Un peu de mesure s’il vous plait dans l’extase esthétique. Ces couleurs qu’on nous présente comme « les couleurs originales » ont largement bénéficié d’une relecture où le magenta n’a pas été économisé. Comme après l’exposition Paris en couleurs, en tant qu’historienne j’attends toujours un article des spécialistes de la colorimétrie pour valider les documents d’un intérêt certain. Oui, l’Occupation n’a pas été vécue de la même façon par tous. Ce passé ne passerait-il toujours pas ?

Photo André Zucca

Une exception ?

L’intérêt d’une exposition sur Paris occupé n’est pas à remettre en cause. Toute exposition est un discours. Celui que nous propose Jean Baronnet s’inscrit dans une réhabilitation d’un photographe dont il minimise autant que faire ce peut sa collaboration avec l’occupant. Le titre : Les Parisiens sous l’occupation et non Des Parisiens suggère que l’Occupation n’a pas été si terrible. Les critiques, comme on l’a montré, n’ont pas été dupes et la levée de boucliers quasi unanime. Pourtant dans le champ culturel, un retour insidieux s’opère. L’édition actuelle publie la prose de Vichy et consorts. Hier Paul Morand, on parle de Drieux la Rochelle en Pléiade. Et pour les Journaux de guerre de Jünger en Pléiade, c’est chose faite. Celui dont les récits de guerre se vendaient comme des petits pains sous le nazisme et qui défila dans Paris durant l’été 1940 à la tête de sa compagnie est maintenant lisible sur papier bible. Cela n’a pas ému beaucoup de critiques littéraires. On attend toujours Thomas Mann, Heine et Musil en Pléiade.

La politique parisienne

Le tollé engendré par l’exposition ne doit pas occulter la politique parisienne en matière de photographie. Depuis la création, en 1978 de l’association Paris Audiovisuel sous l’impulsion de Jean-Luc Monterosso et le lancement du Mois de la Photo, en 1980, suivi de l’ouverture de la MEP en 1996, la Ville a mené des actions diversifiées soutenues et continues en faveur de la photographie. La politique de conservation est prise en compte avec l’ouverture, en 1983, d’un laboratoire de restauration transformé en Atelier de restauration et de conservation (ARCP) confié à Anne Cartier-Bresson et la mise en place, en 2002 du Plan nitrate. En 2007, une nouvelle impulsion est donnée à la numérisation et à la diffusion avec la création de la SAEML Parisienne de photographie, société d’économie mixte, sous la direction de Nathalie Doury pour mutualiser la commercialisation des fonds prestigieux de 18 institutions parisiennes dont ceux de la photothèque des musées de la Ville de Paris (PMVP). Parmi eux citons ceux de la BHVP, du musée d’Art moderne, du musée Carnavalet particulièrement actif sous la direction de Françoise Reynaud, de l’agence Roger Viollet léguée à la Ville, en 1985, et dirigée et animée par Nathalie Doury et Delphine Desveaux.

L’acquisition de fonds, leur conservation dans de bonnes conditions et la mise à disposition du public, alors que le cycle de la photo argentique peut être considéré comme en voie d’achèvement, est plus que jamais une priorité. Gageons qu’après avoir sauvé d’une perte définitive des fonds de première importance comme celui de Paris-Soir/France-Soir (BHVP), la Ville poursuivra, avec ses équipes compétentes et passionnées, son programme d’action.

Françoise Denoyelle

Photographies André Zucca BHVP Roger Viollet