Serge Sautereau

Dans la liste des nouveaux photoblogs (voir article précédent), il en est un qui se distingue par son intention et par le rapport de l’auteur à ses images. Il est finalement assez rare de trouver des photoblogs qui soient centrés sur un projet particulier, au-delà de simplement rassembler les photos d’un auteur, publiées dans un ordre plus ou moins chronologique, ou simplement au gré de leur humeur. Pour son photoblog Mes morts vivent Serge Sautereau est parti d’un évènement tragique, la mort de son père, pour exprimer à travers la photographie ce qu’il ressentait.

Un soir, mon père a été tué. Un abîme fascinant s’est alors ouvert à mes pieds. Je suis d’abord resté de longs moments près du lieu de l’accident, puis ailleurs, là où je me sentais apaisé: au faîte d’une colline, dans un champ, contre un arbre ou des buissons…Je m’asseyais par terre et restais immobile, l’esprit vacant mais en éveil, au cas où un message, une idée, un rêve me viendraient.
J’ai mis plusieurs années avant de réaliser que cette expérience pouvait s’exprimer en mots et en images, et c’est comme cela qu’ont commencé mes aventures.
Elles s’inscrivent dans le cadre d’un journal intime, rythmé par l’écoulement des jours. La lumière y joue un rôle prépondérant, apportant courage ou abattement, doute ou illumination, guidant à travers des itinéraires tortueux vers un dénouement incertain.
Au premier jour du récit, j’ai pressenti que les petites choses composant le quotidien n’étaient peut-être pas aussi limitées que j’avais pu le croire jusque là. En regardant tout autour, j’ai constaté avec étonnement qu’existait un autre angle de vue. J’ai alors entr’aperçu autre chose.
Cependant j’ai toujours été confronté au doute; j’ai souvent tâtonné. Mais même au cœur des ténèbres, j’ai trouvé de faibles éclats de lumière qui ont été les petits cailloux de mon chemin.
« Mes morts vivent » est un récit photographique alliant photos et courts textes, qui ne sont pas des « légendes » : le texte ne décrit pas l’image, n’est pas en concurrence avec lui. La narration se fait à la fois par le texte et par les photos, le tout constituant un seul et même langage.

S’aider de la photographie pour faire son deuil est courant, les albums de famille sont en partie là pour se remémorer les personnes disparues, mais c’est une autre approche qu’a choisie Serge, utilisant la photographie comme média thérapeutique, avec la volonté de partager ses images et ses sentiments.

Cela m’a rappelé un article que j’ai lu il y a peu dans le quotidien anglais The Telegraph, à propos de l’utilisation de la photographie dans le cadre de soins psychologiques (d’où le terme de « photothérapie »). Une photographe, Ellen Fisher Turk, travaille depuis de nombreuses années avec des femmes ayant subi un traumatisme mettant en jeu leur corps (cancer, perte d’un bébé, violences, trouble de la nutrition…) en les photographiant nues.

Voici ce qu’explique la photographe :

Sans vêtement, vous êtes complètement vulnérable, c’est à ce moment que vous avez des réactions émotionnelles. Ce type de photographie est un outil transformationnel pour dépasser des difficultés et traumatismes. Les images investissent le cerveau, la conscience, dans des endroits différents de ceux des idées et souvenirs.

En se voyant différemment, il est possible de modifier le regard que l’on porte sur soi. Les femmes qui suivent ma méthode sont profondément courageuses. Leur esprit a peur que l’appareil photo capture ce qu’elles pensent aller de travers avec leur corps. Je photographie en cherchant ce qui est juste et beau dans leur corps et je leur renvoie cette image.

La journaliste qui a rédigé cet article pour le Télégraph et un similaire pour Glamour a voulu tenter l’expérience elle-même. Si pour certaines femmes, poser nue pour une photo peut transformer leur vie et, dans certains cas, les sauver du désespoir, pour elle c’était une occasion de fixer son image à un moment donnée de sa vie, jeune trentenaire. Une manière de reprendre confiance en elle-même, de se convaincre que toute femme est belle. La photographie « comme une célébration ».