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Voilà l’avertissement que nous risquons de voir fleurir autour de photographies si le projet de loi déposé par la député UMP Valérie Boyer va à son terme. L’intention, louable, est de combattre l’anorexie. L’idée, plus discutable, est d’accompagner toutes les photographies retouchées de cette mention.

Voici le texte de la proposition :

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le chapitre III du titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Dans l’intitulé, après le mot : « Alimentation, » sont insérés les mots : « représentation du corps, » ;

2° Il est ajouté un article L. 2133-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 2133-2. – Les photographies publicitaires de personnes dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image doivent être accompagnées de la mention : “Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne”.

« Le non-respect du présent article est puni d’une amende de 37 500 €, le montant de cette amende pouvant être porté à 50 % des dépenses consacrées à la publicité. »

Il est intéressant de lire l’exposé des motifs de cette proposition de loi pour bien saisir le raisonnement et comprendre quelles en sont les évolutions naturelles. Et comme nous avons toujours l’esprit pratique, photofloue.net vous a préparé des avertissements clés en main à copier et coller près de vos dangereuses photographies.

Voici le préambule :

N° 1908
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2009.

PROPOSITION DE LOI

relative aux photographies d’images corporelles retouchées,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs
Valérie BOYER, Nicole AMELINE, Patrick BEAUDOUIN, Jérôme BIGNON, Roland BLUM, Jean-Claude BOUCHET, Loïc BOUVARD, Patrice CALMÉJANE, François CALVET, Pierre CARDO, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Georges COLOMBIER, Jean-Pierre DECOOL, Patrice DEBRAY, Nicolas DHUICQ, Jacques DOMERGUE, Dominique DORD, Jean-Pierre DUPONT, Daniel FASQUELLE, Guy GEOFFROY, Jean-Pierre GRAND, Anne GROMMERCH, Jacques GROSPERRIN, Christophe GUILLOTEAU, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Denis JACQUAT, Philippe Armand MARTIN, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Philippe MORENVILLIER, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Éric RAOULT, Michel RAISON, Jacques REMILLER, Francis SAINT-LÉGER, Jean-Pierre SCHOSTECK, Daniel SPAGNOU, Guy TEISSIER, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Patrice VERCHÈRE et Marie-Jo ZIMMERMANN,
députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Je vous présente une proposition de loi relative aux photographies d’images corporelles retouchées et je souhaite qu’une mention précise que ces photos ont été retouchées.

En effet, ces images peuvent conduire des personnes à croire à des réalités qui, très souvent, n’existent pas. Il ne faut pas se limiter aux simples photographies à usage commercial et il convient de relever un champ plus large que les photographies « ayant pour objet d’être diffusées dans la presse écrite ». Une affiche publicitaire ou une photographie figurant sur l’emballage d’un produit seraient également concernées, tout comme les photographies des affiches de campagne politique ou encore les photographies d’art.

Répondant aux préoccupations du Gouvernement exprimées le 15 avril 2008, au cours de l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à combattre l’incitation à l’anorexie, au sujet de l’amendement n° 1 qui avait le même objet, l’obligation de faire figurer une mention sur une photographie retouchée à usage commercial ne semble donc pas attentatoire à la liberté de création et d’expression.

Si l’insertion du dispositif dans le code de la consommation à travers la sanction d’une pratique commerciale a pu être envisagée, elle n’est cependant pas pleinement pertinente au regard de l’objectif poursuivi par la proposition de loi. Bien que ce code peut être aussi de protéger le consommateur en tant que tel (contre une tromperie sur la nature, les caractéristiques du produit vendu, ou une technique de vente abusive), mais aussi de lutter contre la diffusion d’une « représentation erronée de l’image du corps dans notre société », laquelle peut contribuer au développement de divers troubles psychologiques, notamment du comportement alimentaire. En revanche, la retouche photographique d’un mannequin sur une publicité pour un véhicule est certes trompeuse mais ne constitue pas une tromperie sur les qualités du produit pour le consommateur, en tout cas pas plus que la retouche du paysage en arrière-plan.

L’objectif poursuivi est bien un objectif de santé publique, mais peut aussi contribuer à protéger le consommateur. Le dispositif proposé peut être inséré dans le code de la santé publique, à la suite des dispositions prévoyant que « les messages publicitaires en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés doivent contenir une information à caractère sanitaire » (article L. 2133-1).

À cet effet, il pourrait être envisagé de compléter le chapitre III (Alimentation, publicité et promotion), qu’il est proposé de renommer « Alimentation, représentation du corps, publicité et promotion », du titre III (Actions de promotion concernant l’enfant) du livre Ier (protection et promotion de la santé maternelle et infantile) de la deuxième partie (Santé de la famille, de la mère et de l’enfant) du code de la santé publique par un nouvel article L. 2133-2.

Cependant, si le dispositif devait être inséré dans le code de la santé publique, il conviendrait de prévoir une sanction en cas de non-respect de l’obligation de mentionner qu’une photographie d’image corporelle est retouchée. Il est proposé de prévoir, sur le modèle de la sanction de certaines publicités comparatives prévue par l’article L. 121-15 du code de la consommation, une amende de 37 500 euros, cette amende pouvant être portée à 50 % des dépenses consacrées à la publicité.

C’est clair, si la proposition de loi s’insère dans un contexte législatif visant les annonces publicitaires dans le secteur alimentaire, elle ne satisfait pas vraiment la rédactrice, et l’intention est d’aller beaucoup plus loin :

« Il ne faut pas se limiter aux simples photographies à usage commercial et il convient de relever un champ plus large que les photographies « ayant pour objet d’être diffusées dans la presse écrite ». Une affiche publicitaire ou une photographie figurant sur l’emballage d’un produit seraient également concernées, tout comme les photographies des affiches de campagne politique ou encore les photographies d’art. »

« Bien que ce code peut être aussi de protéger le consommateur en tant que tel (…), mais aussi de lutter contre la diffusion d’une « représentation erronée de l’image du corps dans notre société », laquelle peut contribuer au développement de divers troubles psychologiques, notamment du comportement alimentaire. » — la rédaction de cette phrase me semble un peu bancale, mais on voit l’idée.

Donc toutes les photographies, à partir du moment où il y a une représentation du corps. Et on ne voit pas pourquoi le net ou l’audiovisuel seraient exclus pour ne se concentrer que sur la presse écrite et l’affichage, la logique est de viser toute représentation publique d’une photographie.

Le texte précise :

(les photographies dont) l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image

Comme si la retouche photographique était née avec le numérique. La retouche photographique est née avec la photographie. Pourquoi exclure la gouache, l’airbrushing, les crayons ? Parce que, comme la peinture à l’huile pour la peinture à l’eau, la retouche manuelle est plus difficile que la retouche numérique, donc plus noble ? Le Studio Harcourt n’a-t-il pas construit son succès sur « la modification de l’apparence corporelle d’une personne » ? Et quelle est la différence entre ajouter un peu de temps à l’agrandisseur sur des dents un peu sombres ou des cernes et passer un coup de pinceau éclaircissant dans un logiciel ?

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En fait, toutes les prises de vues numériques ne seraient-elles pas concernées ? Chaque appareil photo embarque un logiciel de traitement d’image. Réglez l’appareil sur le mode portrait, et l’apparence corporelle est modifiée : peau lisse et sans défaut, hâle comme au retour de vacances. Et après, que faire si vous supprimez les yeux rouges ou masquez un bouton ? Et le noir et blanc, ce n’est pas une apparence modifiée ? La modification de l’apparence, ça commence où ?

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Ce que ne semblent pas saisir les personnes qui ont découvert la retouche photographique depuis l’arrivée du numérique, c’est que la modification de l’apparence corporelle fait partie de l’ADN de la photographie au même titre que ce qu’on pourrait considérer comme son opposé qui est la représentation du réel. La manière dont on éclaire un modèle, le choix de la pose, le maquillage, le matériel photographique utilisé se combinent pour gommer les « défauts » et valoriser les atouts. Mettez votre corps de 3/4 pour la photo, et vous perdez 3 kilos. Relevez la tête un peu plus que nature, et votre menton s’affine. Habillez-vous de noir et retrouvez la minceur…

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Et que faire de la chirurgie esthétique ? Il serait prudent, si vous photographiez un modèle qui est passé par le scalpel afin de modifier son apparence corporelle, de le préciser clairement. Sinon vous risquez de voir débarquer la police corporelle qui vous demande de fournir les originaux sous prétexte que tout cela n’a pas l’air bien naturel.

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Et si vos photos de famille étaient concernées ? Vu votre talent, elles pourraient bien se trouver exposées ou publiées un jour ou l’autre…

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Même chose pour l’affichage politique évoqué dans l’exposé des motifs.

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Sur ce sujet, je serais prêt à parier que la photo de Valérie Boyer figurant dans le bandeau de son site a vu de près les pinceaux de Photoshop. Oh, pas grand chose, juste un peu de lissage, une petite retouche de rouge à lèvres, quelques cheveux rebelles, mais retouchée ?

Et où va-t-on s’arrêter ? Pourquoi exclure les retouches sur les paysages ?

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Et pourquoi exclure l’illustration ou la peinture, au cas où des regards naïfs tireraient des conclusions hâtives des apparences corporelles représentées ?

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En attendant, on pourrait décider que la frontière de la photographie se situe au stade de la retouche.

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Je serais curieux de savoir comment a été calculé le montant de l’amende… 37 500 ? Chacun a mis un nombre au hasard dans un chapeau et on a tiré au sort, ou alors c’est super calculé, avec des critères pertinents, pour arriver à une somme aussi précise plutôt qu’un chiffre rond ? Toujours est-il qu’en suivant le principe de précaution et les conseils des juristes, les éditeurs de logiciels ne vont pas tarder à apposer des étiquettes avertissant des risques encourus avec l’utilisation de leurs produits.

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OK, en bon citoyen je me dois, après avoir donné mon avis sur ce projet de loi bien dans l’air du temps, d’être un peu constructif vis à vis de son intention première : lutter contre l’influence des images sur l’anorexie. Plutôt que ce genre de mesure ajoutant à la paranoïa ambiante (voir l’affaire de la cigarette de Jacques Chirac qui n’ira pas jusqu’à la couverture de sa biographie, ou de la pipe de Monsieur Hulot) issue des avis prophylactiques de tous ordres, de la « précautionnite aigüe« , du politiquement correct et des lois « stupides« , il me semblerait beaucoup plus intelligent de développer (de créer) les enseignements sur la lecture de l’image, les mécanismes des médias, et la pratique de la photographie.

Et c’est justement sur ce sujet que commence l’exposé des motifs :

En effet, ces images peuvent conduire des personnes à croire à des réalités qui, très souvent, n’existent pas.

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