trop vite

Serge vient de publier dans l’article D200-D300 un commentaire qui, si j’en juge par des réactions ou questions que j’ai pu avoir par ailleurs, reflète bien les états d’âme qu’ont de nombreux photographes amateurs par les temps qui courent.

Ma réponse étant un peu longue, je la publie sous forme d’article sachant d’une part qu’elle sera plus lisible et d’autre part qu’il y aura d’autres réactions complémentaires dans les commentaires qui suivront…

Serge écrit :

« J’avoue que si j’avais à faire le choix D200 / D300 je serais bien embarrassé maintenant que j’ai lu l’article de Philippe !! J’ai l’impression que le D300 est venu beaucoup trop tôt et ikon se fout de la G… de ses clients ( le D400 et sa chaine de montage sont probablement déjà au point…) Un D3 moins cher à la place du D300 aurait été plus justifié. Nikon aurait économisé l’investissement en R&D sur le D300 et aurait peut=être pu nous faire un FF meilleur marché dans le boitierdu D300. Cela aurait eu plus de sens qu’un D300 qui n’apporte visiblement pas – à en lire Philippe- grand chose au D200. A trop vouloir segmenter le marché, Nikon pourrait bien perdre des clients qui lui ont pourtant été fidèles pendant des décennies. Pour ma part, je commence à vraiment avoir le sentiment d’être pris pour un Gogo ( que je suis peut être diront certains). »

Il faut se faire une raison : avec le numérique la photo a changé d’industrie. Avant on était dans la mécanique, maintenant on est dans l’informatique. Pour le pire et le meilleur.

Le meilleur, c’est un contrôle sans précédent de ses images, c’est une amélioration constante des produits. Il y a en fin d’article de Réponses Photo un portrait dans la pénombre fait au 1/10 de seconde grâce à l’objectif stabilisé et à 3200 ISO grâce à la sensibilité du capteur du Nikon D300. Je n’aurais pas pu faire cette photo avec de l’argentique. Et je n’aurais pas non plus pu la faire avec un objectif classique et mon D200. Quel progrès en si peu de temps.

Le pire, c’est cette impression de fuite en avant bien décrite par Serge. C’est ce nouveau rythme de renouvèlement du matériel (combien d’années ai-je utilisé mon 801 !?). C’est ce budget photo en inflation (au début, on pensait que le numérique coûtait moins cher parce qu’on ne payait pas les pelloches, amusant, non ?).

Ce nouveau rythme est bien celui de l’informatique, exprimé ainsi par Gordon Moore (un des fondateurs d’Intel) : la complexité des semi-conducteurs double tous les 18 mois, à coût constant. Et devinez combien de mois séparent la sortie du D200 et celle du D300 ?

Si on peut à juste titre avoir le sentiment d’être, en tant que consommateur, baladé de nouveauté en nouveauté sans avoir le temps de reprendre son souffle, on ne peut pas accuser les fabricants de se moquer de nous, ou de nous manipuler (au-delà de techniques marketing classiques qui ne datent pas d’hier) : ils sont dans le même mouvement. Et ils ont eux-même sans doute le sentiment de se faire balader par les progrès technologiques…

Croyez bien que si Nikon avait été dans la capacité de sortir il y a 2 ans le D300 au lieu du D200, il n’aurait pas hésité à mettre sur le marché un produit plus performant que celui de ses concurrents. Le processus R&D est un processus continu, et on ne peut pas sauter directement à l’étape suivante. Cela ne veut pas dire que les fabricants n’ont pas une vision claire de leur prochaine gamme de produits : simplement ils n’ont pas la capacité de les fabriquer, n’ont pas pu tester les nouvelles avancées pour juger de leur intérêt concret, n’ont pas les processus industriels qui permettent de fabriquer (ou d’acheter) les composants de cette étape suivante dans de bonnes conditions économiques.

Un signe ne trompe pas : les fabricants présentent tous des produits qui ne sont pas totalement calés lors de leurs présentations à la presse. Voir toutes les précautions sur l’air de « c’est un modèle de pré-série » ou « attendons la livraison des premiers exemplaires commerciaux » qui garnissent les tests de nouveautés dans les pages de Réponses Photo.

Quelle attitude adopter dans ce contexte ? On se calme, et on essaie de prendre du recul, cela n’empêchant pas la curiosité vis à vis de la nouveauté et l’enthousiasme. C’est ce que j’ai tenté de faire dans cet article D200/D300. Oui, je suis enthousiaste sur les performances du D300 et, oui, le D300 est un appareil significativement plus performant que le D200. Oui, j’ai fait de meilleurs photos avec le D300 qu’avec le D200. Mais au moment de la décision d’achat ou de renouvèlement, il faut prendre en compte l’usage qu’on va faire du nouveau matériel et l’usage que l’on fait de son matériel existant. Et mettre tout cela en rapport avec ses capacités financières.

Ce qui m’amène donc à conclure dans mon article qu’étant satisfait de mon D200, et que n’ayant qu’un usage marginal des fonctions sur lequelles le D300 fait la différence, je n’investirais pas 1000 euros pour changer. Réponse valable aujourd’hui, et peut-être différente demain : je peux changer de centres d’intérêts photographiques qui mamènent à faire plus de photos en basses lumières, je peux avoir une commande qui le justifie, le prix du boîtier peux baisser, je peux gagner au loto… Par contre si, avec un boitier plus ancien que le D200, je devais m’équiper aujourd’hui, je choisirais le D300 plutôt que le D200.

Je pense que les tests de matériels vont devoir de plus en plus mettre en contexte l’utilisation des produits pour donner un avis et conseiller les lecteurs : oui à l’innovation permanente, mais non à son soutien inconditionnel. Il faut aussi que, de leur côté, les lecteurs soient capables d’entrendre une réponse non monosyllabique à la question classique « faut-il que j’achète l’appareil X ? ».